Monika Brugger

Monika BruggerMontréal, le 24 mars 2023 – Du 1 avril au 13 mai, Monika Brugger présentera sa première exposition individuelle Fliegenschmuck, Pour les précieuses presque ridicules, à la Galerie Noel Guyomarc’h. L’artiste sera présente lors du vernissage qui se tiendra le 15 avril de 13h à 18h.

D’origine allemande, installée en France depuis 1980, l’orfèvre plasticienne Monika Brugger oriente ses réflexions sur l’imbrication intime et technique entre bijou et corps, sens de la matière et sens des mots. ‘Petit objet ouvragé et précieux’ qu’elle place avant tout comme un objet social qui nous définit face aux autres. Fliegenschmuck, pour les précieuses presque ridicules, titre du nouveau corpus d’œuvres de Monika Brugger, est une invitation dans son jardin foisonnant de mouches, ces Vanités chères à l’artiste, si séduisantes, agaçantes et répugnantes.

Monika Brugger

Die Fliegenkönigin – La Reine des Mouches Modèle Laurence Verdier

Toujours aussi surprenante, celle qui est reconnue internationalement pour ses bijoux plutôt conceptuels, semble au premier regard par cette nouvelle collection s’être égarée sur un nouveau chemin, celui d’une jardinière du bijou. Des perles de différentes couleurs enfilées tantôt en grappes, tantôt en rangs doubles ou multiples composent ses colliers animés qui invitent à la rêverie, à une ballade dans son jardin fleuri. Mais oh! Surprise ! Quand on s’y attarde, une multitude de mouches et d’insectes aux antennes démesurées apparaissent sur ces colliers! En amas, en enfilade, que font ces bestioles? Et que sont ces grosses mouches esseulées qui s’invitent à être portées ? Quelle drôle d’intention de la part de Monika ! Est-ce finalement le dessein de l’artiste de jouer avec nos émotions, nos sens et nos perceptions?

Monika Brugger

Hexapodes – Les cinq saisons – Troquer les mouches

Installés sur un mur vert pomme comme un jardin au printemps, ces colliers envahis de mouches deviennent une composition picturale des natures mortes.
« Les « précieuses ridicules » (femmes élégantes du XVIIIe siècle en France) portaient des « mouches » (mouches soigneusement positionnées). Pas de créatures laides, mais de simples points de coton noir, ils étaient placés sur le visage non seulement comme des bijoux mais aussi comme des signes et des messages. Aujourd’hui encore, la femme à la mode ne se déplace jamais sans ses « vanités » et sa trousse de toilette, remplies à ras bord de tous les indispensables superflus, et admirablement frivoles. Vanités, cette exposition met en scène des mouches (mouches…), des moustiques, et autres papillons ou libellules, parfois répulsifs, ces animaux omniprésents longtemps vus en peinture, nous parlent de nos vanités et de nos vies ». Monika Brugger

Après s’être initiée à l’orfèvrerie à Pforzheim, de 1976 à 1978, Monika Brugger complète sa formation aux Ateliers de Fontblanche en 1990 et obtient une maîtrise en Art Appliqués sous la direction de Pierre Damien Huyghe en 2006, qu’un diplôme honorifique de l’EnsAD de Paris en 2016. Monika Brugger enseigne aujourd’hui à l’atelier du bijou à l’ENSA de Limoges. Que ce soit par ses créations ou son enseignement, autant que par son rôle de commissaire d’expositions, elle a atteint un rayonnement international. Ses œuvres figurent notamment au Musée des Arts Décoratifs de Paris, au Schmuckmuseum de Pforzheim, au Musée des beaux-arts de Montréal et à La Berner Stiftung für Angewandte Kunst de Berne, au V&A Museum de Londres. Elle fait maintenant partie du Fond d’Art Contemporain de l’état français pour des pièces majeures de sa carrière.

Pour toute information complémentaire, nous joindre par courriel [email protected]

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Quelques textes – mots – dialogues  au sujet de l’exposition Fliegenschmuck, projet qui a débuté en 2017

Tous les textes sont de Laurence Verdier 

Limoges, 03 mai 2018   

L’air des mouches  / The Fly Aria

Ça commence de la manière la plus banale qui soit : un bijou qu’on casse. On lui répare les ailes et on s’attache à cette mouche, on a envie de lui faire des copines. On en fabrique une puis deux. C’est léger, sans prétention. On se distrait avec des mouches comme d’autres font du tricot. Le fil est épinglé, il n’y a plus qu’à le tirer. On relit Daniel Arasse, on trouve des pierres « taille mouche » dans un dîner à Idar, on se dit que ce serait pas mal de mettre de la couleur, on achète un four à émail, on prend des stagiaires, on se passionne pour les planches de diptères. Tout s’enchaine. Le carambolage est lancé : on mouche à tout-va. Tout le monde y passe, Marlène, la conservatrice, la conseillère artistique, la jeune fille à la perle, une historienne de la renaissance, une tête pensante du design, un chartreux. Comme on n’est plus à une vanité près, on se fait un autoportrait de charme. Mais on troque les mouches (qui volent en rond) pour une libellule (qui vole sans jamais reculer), histoire qu’on sache bien qui mène la danse.

Monika Brugger

Paris octobre 2017

Contrairement aux apparences, la femme avec son air terminé de sportive du dimanche ne tient pas une raquette de tennis mais une immense tapette à mouches électrique. Une sorte de Tyser à insecte. Mort immédiate par électrocution pour tout ce qui s’approche des mailles fatales. Peut-être exagérément technologique par rapport à la modestie de l’insecte visé, certes désagréable par son vrombissement et son incapacité à sortir d’une pièce malgré les deux fenêtres grandes ouvertes, mais instrument de torture efficace. On notera juste l’odeur acide de grillé qui remplace désormais le vrombissement. Pénible, mais on a rien sans rien.

On comprend mieux alors que les mouches fassent profil bas ou plutôt profil plat alignées gentiment (nous font-elles croire) en escadron collerette (figure militaire de la renaissance italienne) sur la robe de la sportive du dimanche. Nous la connaissons la sportive, on nage avec elle à la piscine, c’est nous qui l’emmenons en voiture non pas le dimanche mais le samedi matin, elle va plus vite que nous en crawl mais sur la nage papillon, plus sophistiqué, on se rattrape.

Revenons aux mouches en escadron collerette sur la robe verte (d’ailleurs. nous qui savons toujours mieux que tout le monde nous savons que c’est une robe que la sportive porte avec des palmes au pied, ce qui confirme bien qu’elle ne joue pas au tennis et que nous attendons qu’elle finisse la séance photo pour l’emmener à la piscine). Les mouches, passe-temps sans prétention dixit l’artiste, les mouches ont déjà accepté d’être exhibées sous forme de cabinet de curiosité dans des chambres de mouches, rangé par taille et espèce comme de vulgaires bijoux à vendre. Ces mêmes mouches exécutent un vrai numéro de cirque perché sur des perles blanches de pendant d’oreille, perles qui roulent, les pattes glissent, elles manquent de s’y coincer les ailes. Elles posent comme des potiches (ce sont leurs mots) sur le rebord de cadre façon Petrus Christus pour faire illusion mais personne n’est dupe. Elles ne trouveront jamais la sortie pour rejoindre le ciel bleu des prairies verdoyantes. Elles devront se contenter d’une robe vert pelouse et manger les pissenlits par la racine en attendant que l’artiste ait fini de se détendre.

Alors, cette ultime photo avec notre sportive du dimanche et sa raquette Tyser fut la provocation de trop. Les mouches ne pouvant faire grève (voir article 230 du code civil diptère), elles décidèrent de se rebeller. Non pas en arrêtant de voler ou de vrombir (ce qui de toutes les façons, n’aurait pas influencé les grèves qui perlent à ce jour le pays pour permettre à la conseillère artistique d’arriver le 29 mai comme initialement prévu) mais en jetant un sort à cette ultime photo. L’idée étant d’amener l’artiste à reconnaitre que c’étaient elles les reines et non pas ces stupides femmes en noires ou en collant à fleurs de tapisserie, des amies – soi-disant – de l’artiste. Après diverses manipulations de pixels, les mouches annulèrent tout espoir d’agrandissement de la photo. L’artiste s’entêta, avec sa coupe de cheveux militaire et son accent allemand, mais les mouches ne se laissèrent pas impressionner, elles compliquèrent l’emploi du temps entre le photographe et notre sportive et portèrent le coup de grâce en ce samedi 19 mai en engageant un voleur à gage (grassement payé) pour dérober le matériel du photographe. L’artiste s’avoua vaincu et déclara C’est juste drôle. De notre côté nous pouvons enfin aller à la piscine avec Karine, car tel est le nom de notre sportive du samedi matin.

 

Train Paris-Limoges, Février 2023     

Presque ridicule

– Ce sont des bijoux ?

– Bah non, tu vois bien que c’est un jardin.

– Pas du tout, c’est du bijou Con-Tem-Po-Rain, Madame !

– N’importe quoi ! Il y a beaucoup trop de couleurs pour du bijou contemporain.

– Trop joyeux.

– Et la joie, ce n’est pas sérieux.

– C’est même carrément douteux.

– Le ras du ras des pâquerettes.

- Oui, ridicule et parfaitement pas contemporain.

– Mais il y a des bébêtes, regardez.

– Haaa !… Des mouches, dégoutant.

- Donc peut-être que c’est du bijou contemporain alors.

- Ce sont des bébêtes, pas des mouches, observez la taille des antennes.

– Ces antennes ont l’air vivante, moi ça me fait peur, jusqu’où vont-elles se faufiler ?

– Jusque dans tes narines !

– Et s’introduire dans tes entrailles pour pondre des œufs !

– Mais vous êtes à côté de la plaque ! C’est un adorable jardin, regardez le parterre

de boutons d’or, les champs de bleuets, les petits pois croquants, la belle carotte…

– Bon alors, c’est un jardin ou un bijou ?

– Et si on se faisait un risotto petits pois ce midi ?

– Si on ne comprend même plus ce qu’on voit !… C’est la fin des haricots.

– C’est un jardin à porter.

– un jardin à emporter ? Un fast garden ?

– Mais non, patate ! Un jardin pour le corps.

– J’ai vérifié, Ya pas de haricots dans la garden  party, par contre,

de magnifiques tétons de Vénus et des cornes de bœufs.

- Certains portent le deuil, d’autres le printemps.

– Et d’autres portent la pépinière de leur joie.

– Et d’autres la vie.

– C’est une question de ridicule.

– De culcul la praline.

– De notre capacité à faire de la place au risible dans notre vie.

– Il ne faut pas prendre la vie trop au sérieux disait ma grand-mère.

– Le ridicule, c’est précieux.

– Précieux comme un jardin secret.

– Allez, je me lance, j’essaye ce collier.

– Le bleu là sur le bijou, ce n’est pas la mer qu’on voit à l’horizon ?

– Alors ? Je suis comment ?

– Presque ridicule.

– Juste au bord.

– Sur la crête, entre le deuil et la vie.

– Sur l’arrête, entre beaucoup trop et pas assez.

– C’est déroutant.

– Un équilibre par effraction.

– Un ravissement.

– Une fête où on pourrait chanter et danser en toute liberté.

– Salade de tomates, risotto petits pois et farandole de meringues pour notre garden party !

– Je vais me baigner avec mon jardin, à tout à l’heure les gars !

– Mais qu’est-ce que tu as ? T’es rouge comme une pivoine.

– Je crois que je suis amoureux.

– Mais quelle fleur bleue celui-là !

 

 Limoges, 03 mai 2018 

Sans retenu et sans contrainte

C’est joli et je n’ai pas honte. En jardinant, j’ai réalisé cette épiphanie : C’est joli et je n’ai pas honte. Parce que le jardin, tu vois, il fait pousser du bleu à côté du rouge, tu plantes des marguerites et c’est les pivoines qui décident de pointer leurs pétales. Le jardin, il s’en tape de ton sens de l’harmonie, il fait pousser ce que bon lui semble. Il désharmonise, il fait du beau, il fait du tragique, il fait son numéro dans son théâtre de verdure. Tous les jours et toutes les nuits, sans entracte ni intermède. Il s’échappe à mon contrôle. J’ai réalisé que je n’étais pas la metteuse en scène. J’étais à peine une comédienne un peu costumière parmi les hôtes de ces plantes. Et je peux vous dire que ça, je n’ai pas l’habitude : Faire, en laissant faire.

Mon jardin s’est propagé dans mon atelier. Entre l’établi et le chalumeau, il est venu semer sa sauvagerie. Je me suis fait ensauvager par les plantes. Elles sont silencieuses, alors on doute : est ce qu’il y a quelque chose qui vit vraiment dans leur tige ? Et bien en jardinant, à force de les observer, de les choyer, de ne pas les comprendre mais de leur accorder toute mon attention, quelque chose s’est lié entre mon jardin et moi. Quelque chose de secret et de très vivant. Une greffe. Et je ne vais pas poser davantage de mots au risque de tout gâcher. Je vais garder le mystère. Et le premier qui s’approche, je le chalumeau !

C’est comme ça qu’un matin, je me suis mise à jardiner mes bijoux. J’ai agencé des cercles de semence jaunes puis soudain le vert est venu interférer sur le bleu sans que je n’ai rien demandé, ça disjonctait grave. Mais, cette fois-ci, je n’ai pas tout défait. J’ai laissé la pièce se jouer. J’ai donné des directions au cafouillage. J’ai méli-mélo.

Je fais des bijoux jolis et je n’ai pas honte.

Désormais, sans retenu et sans contrainte,

je suis en vie.